Le retour des désignations et, plus généralement, la promotion de la libre concurrence, constitueront probablement le sujet d'actualité au second semestre. A l'approche d'une année électorale extrêmement compliquée pour tous les partis, et dans la tension d'une grogne sociale évidente, le gouvernement devrait avoir la tentation de lâcher du lest sur le sort réservé aux entreprises. François Hollande ne s'en est d'ailleurs pas caché lors de son interview aux Echos: les actions en faveur des entreprises devraient être beaucoup plus ciblées, même si le Crédit Impôt Compétitivité (CICE) sera relevé pour aider les grandes entreprises publiques comme la Poste.
Dans ce contexte, un petit cadeau aux organisations syndicales, très sensibles comme chacun le sait, à la situation des institutions de prévoyance, semble extrêmement crédible.
Une catastrophe pour les salariés
Au-delà des postures en faveur d'une "solidarité" dont personne n'a jamais défini les contours, un retour sur les désignations constituerait une catastrophe pour les salariés des entreprises. Comme l'a montré Tripalio, en effet, dans son étude de marché de février 2016, la concurrence a durablement modéré les tarifs. Ceux-ci sont restés extrêmement stables depuis 2014. L'ouverture du marché s'est donc révélé très positive pour les salariés qui n'étaient pas couverts ou dont la désignation s'est renouvelée.
Dans ce contexte, le retour aux désignations sonnerait le glas de ces externalités positives et se traduirait par une perte de pouvoir d'achat dans la durée. Les désignés ne tarderont pas à reconstituer leurs marges sur le dos des salariés, après plusieurs mois éprouvants (l'effondrement des marges de solvabilité d'AG2R l'a prouvé).
Une catastrophe pour les employeurs
Pour les employeurs, la situation ne serait pas meilleure. La loi Travail, même s'ils ne s'en sont pas encore rendu compte, devrait renforcer le rôle des branches et offirir le paradoxe de réduire encore un peu plus leur marge d'actions. Certes, les grandes entreprises y gagneront in fine. Mais les patrons de PME et de TPE se verront un peu plus enfermés dans la cage des relations sociales dictées par la branche. Un retour des désignations officialiserait ce retour en arrière: il interdirait les bonnes pratiques qui ont commencé à se mettre en place, à savoir un appel à la concurrence pour les contrats mis en place dans l'entreprise.
Une catastrophe pour l'éco-système assurantiel
Pour l'ensemble des assureurs, toutes familles confondues, sauf pour les groupes de protection sociale et pour une part minoritaire de la mutualité, le retour des désignations aurait le même effet que l'eau de Javel dans un bac à douche. L'ensemble des micro-organismes qui se sont mis en place depuis l'ouverture du marché à la concurrence va disparaître du jour au lendemain, causant d'irrémédiables trous dans les organigrammes et les projets de développement.
On notera que certaines familles risquent de souffrir plus que d'autres. Dans l'univers mutualiste, en particulier, un développement des désignations dans un système où le contrat individuel devient l'exception débouchera sur une sorte de massacre de masse.
La CSCA a commencé à se mobiliser
Face à ces risques de plus en plus évidents, la CSCA a commencé à se mobiliser en publiant un long communiqué de presse détaillant sa position sur le sujet. Manifestement, la chambre des courtiers entend croiser le fer sur une question qui la touche au plus près. Le tissu du courtage en assurances a en effet tout à perdre en cas de retour sur la jurisprudence du Conseil Constitutionnel. A certains égards, peut-on même dire, la CSCA joue une part importante d'une crédibilité renouvelée après une période un peu bousculée, sur ce sujet.
Quels assureurs rejoindront la CSCA?
Dans la perspective d'une opération large (et le sujet le justifie probablement) contre une remise en selle des désignations, quels sont les assureurs ou mouvements d'assureurs qui pourraient rejoindre la CSCA dans une alliance tactique? La réponse à cette question ne manquera pas de susciter la curiosité des observateurs, pour plusieurs raisons.
Premièrement, il s'agit de savoir si la promotion de la libre concurrence sera un thème suffisamment fédérateur pour mettre en parenthèse les vieilles querelles de clocher. En particulier, l'attitude d'AGEA permettra de voir où la profession situe la "barre" de ces enjeux.
Deuxièmement, l'opération constituera un test sur les rapports de force politique au sein de la toute nouvelle FFA, née du rapprochement du GEMA et de la FFSA. AG2R continuera-t-elle à y bloquer toute prise de position sur le sujet? Ou bien l'heure d'André Renaudin est-elle passée au profit d'une ligne libérale?
Troisièmement, la CSCA pourrait tenter une sorte de grand chelem en agrégeant à son combat des fédérations plus "excentrées", comme la FNIM, présente à l'APAC, voire la FNMF, même si celle-ci a bénéficié, à travers Mutex notamment, de désignations ou de recommandations. Dans la pratique, au sein même de Mutex, des forces centrifuges n'ont pas forcément envie de mettre le paquet sur la question des désignations.
Quelles fédérations patronales pourraient rejoindre la CSCA?
Au-delà du monde assurantiel, d'autres mouvements patronaux pourraient trouver de l'intérêt à promouvoir la question de la concurrence appliquée à la protection sociale.
C'est d'abord assez naturellement le cas de fédérations comme l'hospitalisation privée, qui souffrent, dans leur secteur, d'une étatisation rampante particulièrement douloureuse. Mais c'est aussi le cas de fédérations qui, au cas par cas, ont refusé d'être subordonnées au principe des désignations ou des monopoles de branche. Certains ont notamment gardé à l'esprit des mouvements d'avocats qui ont sévérement lutté contre le monopole de la CREPA.
Au-delà de ce cercle rapproché en termes de préoccupations, la CSCA aura tout intérêt à sonder les fédérations patronales intéressées par la libre concurrence. Il en existe encore, notamment parmi celles qui n'ont pas choisi le système de recommandation: l'UIMM, l'UIC, et quelques autres. Celles-là pourraient apporter un soutien moral aux courtiers, mais aussi une légitimité politique dans leur combat.
Quelles positions des syndicats interprofessionnels?
Mais sur le fond, l'un des sujets principaux sera de savoir quel soutien la CSCA peut attendre des grands syndicats interprofessionnels comme le MEDEF ou la CGPME. Il est à peu près acquis que ce soutien sera nul de la part de l'UPA, qui bataille officiellement contre la concurrence. Il n'est pas impossible que la stratégie de François Hollande qui consiste à diviser le monde patronal ne rebatte les cartes qui servent à poser la problématique dans ce domaine.