Les partenaires sociaux adorent l'idée de mettre en place des usines à gaz pour empêcher les entreprises d'accéder à toutes leurs libertés. Officiellement, l'entreprise est libre. Mais, comme on est une bande de potes, et qu'on est les détenteurs de toutes les valeurs vertueuses en ce bas monde, on préfère quand même décider à la place de tout le monde, ligoter le marché en bonne et due forme, surtout quand ça rapporte de l'argent. Ainsi en va-t-il des affaires de protection sociale complémentaire, que les partenaires sociaux ont préemptées pour y instaurer le règne de la combinazione.
Dans cet ordre d'idées, la théorie de la désignation à durée indéterminée tient une place à part, une sorte de siège d'honneur au dîner de cons sociaux.
L'invention du contrat perpétuel
Dès que le Conseil Constitutionnel, le 13 juin 2013, a posé la contradiction entre la désignation et la liberté d'entreprendre, nombreux furent ceux, parmi les paritaristes, notamment chez AG2R, qui soutinrent une idée décoiffante: si le contrat d'assurance est caduc, la désignation prévue par un accord à durée indéterminée ne peut être remise en cause.
Sur ce fondement, la boulangerie a artificiellement posé par un avenant la reconduction de la désignation d'AG2R. Avec l'appui d'avocats véreux, les partenaires sociaux réinventent donc le contrat perpétuel, ce monstre du Lochness juridique qui fait rire tous les étudiants en droit.
Un artifice grossier de présentation
Bien entendu, l'argument ne tient pas, puisque le Code de la Sécurité Sociale, dans son L912-1, est formel: dans son nouvel alinéa 3, par exemple, il indique clairement:
Les accords mentionnés au I comportent une clause fixant dans quelles conditions et selon quelle périodicité, qui ne peut excéder cinq ans, les modalités d'organisation de la recommandation sont réexaminées. La procédure prévue au premier alinéa du II est applicable à ce réexamen.
Prétendre qu'un accord peut maintenir une désignation pour une durée illimitée constitue bien entendu un détournement de la loi. Le code a en effet adapté à la décision du Conseil Constitutionnel une rédaction plus ancienne mais tout aussi explicite:
Lorsque les accords professionnels ou interprofessionnels (...) prévoient une mutualisation des risques dont ils organisent la couverture auprès d'un ou plusieurs organismes (...), auxquels adhèrent alors obligatoirement les entreprises relevant du champ d'application de ces accords, ceux-ci comportent une clause fixant dans quelles conditions et selon quelle périodicité les modalités d'organisation de la mutualisation des risques peuvent être réexaminées. La périodicité du réexamen ne peut excéder cinq ans.
Le Code de la Sécurité Sociale n'a donc jamais autorisé un accord de branche à comporter une disposition instaurant une désignation éternelle. Toute disposition de ce genre est contraire à la loi et ne trouve pas à s'appliquer.
La bouffonne idée d'un contrat perpétuel
Au demeurant, l'idée qu'un contrat puisse être perpétuel ne manque pas de piquant. Elle est contraire à toutes les doctrines en vigueur, pour lesquelles, quoiqu'il arrive, un contrat à durée indéterminée peut à tout moment être dénoncé par l'une des parties. Justement, diront les partenaires sociaux: leur connivence, fondée sur des conflits d'intérêts évidents (les assureurs désignés finançant généralement très largement les organisations syndicales qui les cont désignés), leur permet de se tenir chaud l'hiver et de ne jamais dénoncer le contrat.
C'est ici qu'il serait intéressant d'obtenir une jurisprudence... Un employeur demandant à dénoncer unilatéralement un accord de branche avec une désignation à durée illimitée qu'il n'a pas signée mais qui s'impose à lui ne manquerait pas de remporter une belle victoire juridique.
L'image peu glorieuse d'un combat d'arrière-garde
Sur le fond, ces arguties fantaisistes montrent à quelle extrémité des gens qui se prétendent sérieux et crédibles sont conduits pour sauver des meubles bancals. Et l'on regrettera que l'élite de ce pays, si arrogante et sûre de son fait, se prête à ce genre de pantalonnades grotesques pour préserver ses conflits d'intérêt.
Nous savons tous aujourd'hui que la parole politique a perdu toute crédibilité à force d'être galvaudée. Il en va, chaque jour un peu plus, de même de la parole syndicale.