Dans le grand désordre du débat politique, le retour des désignations ne manquera probablement pas de se poser, particulièrement en prévoyance. On peut même imaginer que, malgré la mauvaise opération de 2016, certains s'obstinent à proposer la mesure en loi de financement de la sécurité sociale. Voici quelques raisons objectives de supposer que cette opération pourrait réussir.
Les groupes de protection sociale ont besoin des désignations en prévoyance
Globalement, la fin des désignations en prévoyance pose des problèmes bien plus sérieux que la fin des désignations en santé. L'importance des provisions techniques collectées dans le contrat de ces contrats au long cours joue un rôle capitalistique bien plus structurant que les contrats santé, en particulier pour les groupes de protection sociale. L'ouverture du marché ou sa diversification poseront des problèmes systémiques aux assureurs qui sont dominants aujourd'hui.
Bien entendu, ce sont les groupes paritaires de protection sociale qui, au premier chef, seront exposés aux risques les plus importants. Parmi ceux-ci, les principaux bénéficiaires de désignations, comme AG2R, seront particulièrement sensibles à la situation. Cette sensibilité est d'autant plus forte qu'AG2R peine à être recommandé dans un système concurrentiel.
La question du débouclage des provisions
Sur le fond, l'ouverture du marché de la prévoyance, avec de possibles résiliations de contrats souscrits depuis plusieurs années, posera immanquablement la question délicate du débouclage des provisions acquises depuis la souscription du contrat. L'entreprise souscriptrice pourra-t-elle réclamer la restitution de ces provisions ou leur transfert vers le nouvel assureur? On imagine les difficultés techniques posées par ce problème de solvabilité.
Dans la pratique, les groupes de protection sociale seront probablement soutenus par leurs réassureurs dans un combat destinés à figer autant que faire se peut la répartition actuelle des provisions. Dans tous les cas, le sujet sera abordé avec lenteur et certains groupes ne manqueront pas d'invoquer le risque systémique qu'un débouclage des désignations fait peser sur leur propre survie, et donc... au nom du too big to fail, sur l'économie française dans son ensemble.
Quelle majorité en juin pour traiter la question?
Dans ce cadre, les élections présidentielles, puis législatives, devraient permettre de mieux analyser les risques de marché.
Plusieurs hypothèses peuvent se présenter.
Premièrement, un président de gauche dispose d'une majorité de gauche à l'issue du processus, et le retour des désignations au moins en prévoyance est inéluctable. La question est moins claire avec Emmanuel Macron qu'avec Mélenchon ou Hamon. Toutefois, on peut imaginer qu'Emmanuel Macron aura besoin de faire quelques cadeaux aux organisations syndicales, notamment à FO, pour mettre en oeuvre quelques mesures d'économies annoncées (même si l'ensemble reste très flou).
Bref, si un raz-de-marée Mélenchon ou un maintien relatif de la gauche "traditionnelle" se produit, le retour des désignations est acquis. Si Macron passe avec une majorité plutôt de gauche, ce retour est moins acquis mais probable.
Deuxièmement, en cas de victoire du Front National, les propos de Marine Le Pen sur le coût de gestion des complémentaires santé laissent planer peu de doutes sur notre sujet. Les désignations ne devraient pas gêner Marine Le Pen.
Troisièmement, une victoire de François Fillon dissipe plus les inquiétudes, sans les lever complètement. Le candidat républicain a annoncé son intention de contrôles les tarifs des complémentaires. Dans son équipe, on trouve des conseillers comme Eric Aubry, très peu enclins à jouer le jeu de la concurrence et manifestant de longue date une préférence pour l'économie administrée.
Donc... même en cas de victoire de François Fillon, le risque d'un retour des désignations n'est pas écarté.
Reste à savoir ce qui se passerait si Emmanuel Macron devait être élu avec une majorité parlementaire républicaine. Hors ce cas de figure, le reste des hypothèses laisse à penser que l'ouverture du marché de la prévoyance n'est pas pour demain.